Comment faire rayonner durablement un territoire aussi vaste que la Nouvelle-Aquitaine ? De Terra Aventura aux séjours bas carbone, la directrice générale du Comité Régional du Tourisme, dévoile les ambitions d’un tourisme réinventé, à l’écoute des transitions écologiques, technologiques et sociétales.
NEXT TOURISME : Que faut-il savoir sur le Comité Régional du Tourisme de Nouvelle-Aquitaine et la région ?
Aurélie Loubes : Le Comité Régional du Tourisme de Nouvelle-Aquitaine est une association et une agence du conseil régional de développement et de promotion touristique de la Région. Nous avons quatre fonctions principales : observer l’activité touristique, accompagner les filières et les destinations, promouvoir en France et à l’international les destinations de Nouvelle-Aquitaine, et animer Terra Aventura – la plus grande chasse au trésor de France. Nous sommes une cinquantaine de collaborateurs répartis entre Bordeaux (le siège social), Poitiers et Limoges.
La région Nouvelle-Aquitaine est la première destination touristique de France, pour la clientèle française et internationale, pour les vacances d’été en hébergements collectifs – notre saison d’hiver étant marginale. Elle accueille environ 30 millions de visiteurs pour 180 millions de nuitées, marchandes et non marchandes. Le tourisme emploie 142 000 personnes et génère plus de 12 milliards de retombées économiques annuelles.
Le plan tourisme Nouvelle-Aquitaine est en marche : à quoi s’attendre sur le front des nouvelles expériences dans le voyage ?
Depuis 2023, la région s’est dotée d’une feuille de route pour encourager un tourisme durable conçue par le conseil régional et notre concours. Nous avons ensuite décliné notre stratégie marketing durable 2023-2028 à partir de ce cadre.
Cette dernière définit quatre axes stratégiques : renforcer notre veille et intégrer davantage d’indicateurs liés au tourisme durable dans notre observatoire économique ; accompagner les transitions environnementales des acteurs du secteur ; développer une approche marketing engagée, où nous privilégions ce qui est bénéfique pour les territoires – par exemple, nous cessons de promouvoir Biarritz, le bassin d’Arcachon ou La Rochelle en été pour répartir les flux ; et créer une nouvelle dynamique partenariale.
Nous nous positionnons comme fédérateur de l’écosystème, en capitalisant sur les synergies. Des conventions de partenariat avec les agences départementales de développement touristique permettent d’éviter les doublons et d’aligner nos actions.
Avec le surtourisme, comment inciter les voyageurs à sortir des sentiers battus ?
Nous restons prudents sur cette notion. En Nouvelle-Aquitaine, le territoire est vaste et peu densément peuplé, nous préférons donc parler de pics de fréquentation que de surtourisme, moins alarmant pour les écosystèmes.
Nos premiers visiteurs sont les Néo-Aquitains eux-mêmes. Les pics sont souvent liés à la présence simultanée des touristes estivaux, des vacanciers ponctuels et des locaux. Le bassin d’Arcachon en est un exemple typique, situé à moins d’une heure de Bordeaux, dans une zone de près de 900 000 habitants. Il s’agit davantage d’un enjeu de gestion des flux que de limitation des arrivées.
Nous développons également des solutions de mobilité durable adaptées aux typologies de territoire : sur le littoral, avec des infrastructures touristiques (hôtels, campings, gites…) où nous favorisons des parkings en retrait ou des navettes pour limiter l’impact écologique ; et à l’intérieur des terres qui représente un complément économique essentiel. Nous encourageons également les déplacements en train ou en car.
Avec l’ADEME, nous avons lancé depuis 2020 plus de 80 courts séjours bas carbone accessibles en train, ou dans une moindre mesure en car, pour faire découvrir des territoires moins fréquentés. Nous avons aussi développé le premier calculateur carbone régional du tourisme. Nous expérimentons sur quatre lignes pour décloisonner les données touristiques et de transport, et offrir à terme des informations complètes sur les activités à proximité des gares, dans une logique isochrone, ainsi qu’identifier les possibilités d’intermodalité et les signalétiques et modes d’information à développer – en partenariat avec la SNCF.
L’exercice est délicat : l’attractivité du littoral reste forte. Nous ciblons donc une clientèle sensible au slow tourisme et aux activités de plein air – des profils en quête d’expériences différentes, à d’autres périodes. Les amateurs de plage, eux, sont plus difficiles à rediriger.
Comment exploitez-vous la donnée ?
Grâce à notre observatoire, nous suivons l’offre via une base de données s’appuyant sur un système d’information touristique : hébergements, activités culturelles et de loisirs… Un chantier est en cours pour ouvrir davantage ce système. En effet, il ne suffit plus seulement de connaître l’offre touristique, il faut aussi intégrer des données de services publics (mobilité, aires de pique-nique, commerces, stationnements…) afin de répondre aux nouveaux usages, notamment ceux générés par l’intelligence artificielle.
Nous allons vers des assistants personnels capables d’informer avant ou pendant le séjour. Les données interconnectées alimenteront les IA, et notre mission sera de les mettre au service des visiteurs et des territoires. Ces hubs de données pourront demain fournir des réponses ultra-personnalisées à toutes les parties prenantes.
Notre observatoire collecte aussi des données de fréquentation à des fins marketing. Une grande enquête est en cours pour analyser la fréquentation en Nouvelle-Aquitaine, un exercice mené tous les cinq ans – le dernier remonte à 2019. Nous allons voir si des changements majeurs sont survenus depuis le Covid (origine des visiteurs, durée, composition des groupes, hébergement, panier moyen…). Ces données sont précieuses pour affiner notre stratégie marketing, identifier les attentes émergentes et éclairer les décisions publiques ou entrepreneuriales.
Comment le CRT s’adapte-t-il à l’émergence de l’intelligence artificielle pour rester visible dans les parcours numériques ?
Comme toutes les organisations, l’IA nous aide à gagner en efficacité sur nos processus internes (comptes rendus, marchés publics, fonctions support…). Sur le terrain, les institutions – agences départementales, offices de tourisme – développent des chatbots compagnons de séjour.
Notre atout est de disposer d’une donnée qualifiée et de la rendre très visible dans les résultats de recherche. À titre expérimental, certains territoires utilisent aussi l’IA pour évaluer la durabilité des offres touristiques, via le service Greencast. Celui-ci scanne les fiches du SIT, les sites web professionnels et les avis clients pour attribuer une note type Nutriscore sur la durabilité. Une intervention humaine assure toutefois un contrôle qualité.
Enfin, quel bilan tirez-vous de Terra Aventura ?
Cette success story, lancée il y a quinze ans, permet d’amener des flux touristiques y compris sur les territoires hors des sentiers battus. Grâce à ce jeu de geocaching, nous avons construit une offre solide qui profite particulièrement aux zones rurales avec une attractivité touristique naturelle moins évidente
Nous avons développé un savoir-faire reconnu en gamification, enrichi chaque année par de nouveaux produits, parcours et personnages. La fréquentation progresse fortement, et nous comptons désormais 650 parcours sur tout le territoire.
Aurélie Loubes interviendra durant la conférence Next Tourisme 2025 organisée par Next Content le 3 juin dans le cadre du débat inaugural « Focus voyageurs : entre nouvelle carte touristique et nouvelle boussole numérique ».